La transphobie : un obscurantisme ordinaire

Si l’on a tendance aujourd’hui à utiliser le mot « obscurantisme » pour désigner les délires théocratiques, il faut rappeler que ce terme peut aussi revêtir des formes non religieuses tels que le machisme, le racisme, le colonialisme, la raison d’Etat, le capitalisme, l’homophobie et la transphobie

Les « fous de dieux » sont tout aussi obscurantistes que l’appareil étatique responsable de l’enfermement du groupe de rock russe Pussy Riot, que les politiques ultra libérales imposées en Grèce ou bien que les gens commettant des violences homophobes et transphobes pouvant aller jusqu’au meurtre.

L’obscurantisme doit être pensé à la fois à partir de la pluralité des formes qu’il peut revêtir et par rapport à la multiplicité des modes de vie et de penser qu’il empêche d’exister.

Effectuer une transition est une manière comme une autre de vivre et de construire son identité. Refuser aux modes de vie transidentaires le respect, la dignité mais aussi la reconnaissance sociale est une forme d’obscurantisme.

Pourquoi ? Parce que c’est refuser de reconnaître que les trans font partie de la pluralité des modes de vie qui constituent ce monde commun que nous partageons tous, avec nos spécificités et nos singularités. Les obscurantismes sont des pouvoirs oppressifs de diverses natures qui luttent pour homogénéiser, embrigader, unifier ce qui ne demande qu’à exister à l’état de multitude, de diversité, d’hétérogénéité.

Pour tenter de nouvelles réflexions sur ces questions, il ne faut plus opposer « l’obscurantisme » aux « Lumières » mais confronter « l’obscurantisme » avec une autre notion qui est celle du « pluralisme ». Penser l’obscurantisme aujourd’hui implique de mettre en chantier une réflexion sur ce qu’est le pluralisme des modes de vie et pensée.

Réfléchir sur l’obscurantisme aujourd’hui signifie se pencher sur les formes d’oppression physiques ou symboliques qui empêchent les individus de recourir à leur liberté de choix ou d’action.

Dès lors, stigmatiser les personnes transidentitaires comme des personnages « exotiques », devant être « psychiatrisées », « stérilisées » ou « marginalisées », est une posture inacceptable qu’il s’agit non seulement de combattre au sein des communautés LGBT, notamment à partir de discours trans adressés aux trans, mais de remettre en cause publiquement, à partir d’une solidarité trans et cis genres.

C’est le régime politique hétérosexuel  qui doit être remis en cause, y compris par des personnes hétérosexuelles convaincues qu’il faut en finir avec ces arbitraires dont sont victimes des gens qui sont avant tout des êtres humains. C’est la position qui est la nôtre et que nous assumons pleinement, dans un entourage pas toujours réceptif mais dans lequel nous faisons exister l’humanité de ces personnes stigmatisées.

Si l’on veut que les trans bénéficient de la reconnaissance et du respect qui leur est dû au sein de la société, cela passe par la rencontre, l’amitié, le soutien de gens qui ne sont pas trans mais qui reconnaissent qu’il n’y a pas de différences importantes entre les personnes transgenres et les personnes cisgenres. Comme on l’a dit tout à l’heure, on fait tous partie de la même humanité et ce qui nous relie, entre « frères humains », est beaucoup plus fort que ce qui nous différencie.

Dans un monde où les oppositions entre « occidentaux » et « non occidentaux », entre « riches » et « pauvres », entre « musulmans » et « non musulmans », entre « hétérosexuels » et « homosexuels», entre « cisgenre » et « transgenre » prolifèrent de manière dangereuse, en créant des murs invisibles entres des individus faisant pourtant tous partie de la même humanité, il faut repenser ce qu’est l’obscurantisme comme refus du pluralisme. La transphobie est une forme d’obscurantisme car elle refuse de reconnaître l’humanité des personnes transidentaires.

Qu’est une personne transidentaire ? Comme l’ont montré Arnaud Alessandrin, Karine Espineira, Maud Yeuse Thomas dans La Transyclopédie, les personnes transidentitaires sont les personnes « qui vivent dans le genre social opposé au genre assigné en fonction du sexe biologique à la naissance ». Si la transidentité existe, cela ne signifie pas pour autant que le transsexualisme existe, voire que les « trans » – le terme à travers lequel les personnes transidentaires se définissent depuis quelques années – aient une réalité homogène.

Il y a autant de façon d’être transidentaires qu’il y a d’étoiles dans le ciel. Face aux assignations, aux normativités, voire à une police du genre, séparant les individus en catégorie binaire homme/femme à partir d’un sexe simplement assigné à la naissance, les cultures et les contre-cultures trans produisent des modes de subjectivation à travers lesquels les individus essaient de construire des identités qui leur sont propres, que cela soit par le biais des opérations chirurgicales, des traitements hormonaux ou des façons de se travestir.

Après la transition, les personnes peuvent se définir comme femme, homme, trans. Elles peuvent chercher à s’identifier à une identité féminine ou masculine mais aussi vouloir en finir avec les marqueurs identitaires et s’inscrire dans le « queer ».

En finir avec l’obscurantisme consiste peut-être à accepter la singularité des identités hybrides et métissées qui existent au sein de l’espace public, sans rire, sans se moquer, sans être choqué, sans s’apitoyer, sans haïr mais en comprenant, en respectant, en échangeant, en appréciant et surtout en sachant regarder. Ce n’est pas d’apitoiement qu’il s’agit de parler mais de façon de regarder les visages, les corps, les attitudes, les looks des différentes féminités et les différentes masculinités qui nous entourent.

Pourquoi ne pas savoir regarder une personne qui a fait sa transition MtF en la considérant comme une femme ? Parce qu’on est tellement empoisonné par ces incorporations sociales de la symbolique des genres qu’on est incapable de décoloniser nos esprits (pour reprendre une expression de Maud Yeuse Thomas) et de regarder les différentes féminités autour de nous,  en les respectant et en en appréciant la beauté.

En finir avec l’obscurantisme, c’est savoir regarder la beauté, la grâce, l’élégance, la sensualité et les sourires de ces femmes qui partagent leur bonheur d’être ce qu’elles sont et ce qu’elles avaient à devenir, que ce soit sur les photos qu’elles mettent sur FB ou dans les échanges qu’elles ont au sein du monde social.

Le sourire d’Alexandra à l’image de ces grands soleils dont parle Baudelaire, le regard à la Rita Hayworth de Candice, le visage plein de vie et de sérénité de Barbara, la dureté et aussi la fragilité des yeux de Hélène (et son amusant côté Tatie Daniel), l’élégance et le raffinement d’Océane, la posture wonder women de Julie qui fait penser à ces femmes d’affaires confiantes et hyper sûres d’elles, la sensualité érotique et troublante de Margot ou de Steffanie…

On peut voir beaucoup de charme et beaucoup de beauté dans ces féminités plurielles, à condition de savoir regarder ces personnes qui à force de vouloir être belles ont fini par le devenir…

Une société qui est incapable de comprendre, d’apprécier, d’avoir des relations amicales ainsi que d’assumer ses désirs sexuels à l’égard de personnes qui se pensent, se vivent et se comportent en femme, quel que soit leur sexe de naissance, est une société malade, une société obscurantiste, une société hypocrite, incapable de prendre conscience de la pluralité des féminités existant en son sein.

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