Le plus souvent, que l’on soit travesti ou plus largement une femme transgenre qui s’ignore encore, nous enfouissons notre secret au plus profond de nous même mais aussi au plus profond d’une cave ou d’un placard, dans une valise ou un carton … parfois même, pris d’un terrible remord, jetons-nous toute notre panoplie de la parfaite bimbo, entre deux compulsions, persuadés que nous sommes que ce besoin ne reviendra plus jamais …
Et alors que, paradoxalement, il nous arrive dans ces périodes de prendre des risques en tout genre (exhibitionnisme, rasant les murs de nuit en petite tenue, rapports sexuels non protégés, ..), il est fort peu probable que nous ayons même envisagé un seul instant qu’il soit possible d’être découvert ou outer, encore moins qu’il soit possible d’en parler avec son entourage dans un processus appelé le coming out.
Et puis un jour, pour différentes raisons dont la fréquentation de blogs ou de sites dédiés aux sujets du travestisme et de la transidentité, nous décidons de sortir du placard. quelque soit la forme que cela prends arrive l’incontournable question du coming out, pour gagner en liberté mais parfois juste parce que l’on a envie de crier au monde notre bonheur d’être enfin soi : à qui le dire, quand le dire, comment le dire, pourquoi le dire, … ?
Au travers de ce billet, je voudrais déjà me porter en faux contre ceux ou celles, parce que profitant de circonstances particulières rarissimes, peuvent vivre leur travestisme ou leur transgenderisme dans ce que l’on perçoit comme une grande liberté et une grande facilité, pensent et écrivent alors qu’une approche généraliste est non seulement possible mais facile car il suffirait simplement d’oser, de se prendre en main pour annoncer son travestisme ou son identité de genre à toute la terre puis le vivre tranquillement en allant chercher son pain en jupette et talons …
Ces propos sont pour le moins dangereux car ils passent plutôt sous silence la problématique du non conformisme à un modèle binaire très ancré dans une société française très patriarcale qui érige la transidentité en quasi tabou et ils ne présentent que les bons côtés des choses … trop beau pour être vrai !
Car pour un exemple merveilleux que vous me citerez, je vous donnerais des dizaines de catastrophes humaines qui dans certain cas auraient pu être évitée par une meilleure gestion du coming out.
Vouloir réhabiliter le travestisme et démystifier l’identité de genre est, dans notre société actuelle, d’abord un acte militant et c’est même un des objectifs de Txy que d’en montrer les aspects positifs, non stigmatisant, expliquer pour lutter contre les peurs de l’autre, peurs qui engendre haine ou rejet. faire en sorte que s’épanouir au féminin (ou au masculin pour une personne née fille) ne soit plus un tabou ou perçu comme une perversité ou une maladie mentale.
Mais chaque personne est unique et dans des contextes personnel, familial et professionnel particuliers ; et peu d’entre nous ont cette âme militante voir de martyre. Car tout outing peut mettre en danger la personne dans l’un de ces contextes avec parfois des conséquences dramatiques. J’ai l’exemple très récent d’un chantage à la garde des enfants sous prétexte que se “déguisant en femme” il est forcément un pervers dangereux … et quand on connait la transphobie de certains juges on peut facilement imaginer la fin de cette histoire …
Sans aller jusqu’à focaliser sur les quelques cas les plus dramatiques (divorce avec perte de l’autorité parentale, perte de travail, perte du logement, rejet des parents, dépressions, …), on me reprocherait alors d’agiter ces exemples comme autant d’épouvantails pour vous empêcher de vous réaliser …
Non, mon objectif est de vous faire prendre conscience des risques et des difficultés auxquels vous auraient bien du mal à échapper lors d’un coming out. Puis de prendre vos décisions en votre âme et conscience de personne avertie car il vous faudra forcément renoncer, renoncer à des amis, renoncer à votre couple, renoncer à des fréquences de travestisme, … tout dépendra des circonstances, de votre situation, de votre objectif de vie, de vos capacités, … et tout cela évoluera de surcroit avec le temps. chaque situation est unique.
Ainsi je trouve irresponsable de vous préconiser d’utiliser le coming out comme méthode pour filtrer ses amiEs ; beaucoup d’entre nous ont déjà un parcours de vie difficile, enchevêtré et fragilisé par les questions, par les remords, par les doutes, … pourquoi prendre le risque de se mettre en solitude, de se couper de relations sociales, d’amitiés et d’un peu de soutien ?
Car en tant que T il nous a fallut plusieurs années, voir plusieurs dizaines d’années pour nous accepter nous-même, et encore ce travail n’est souvent que partiel et en construction. Comment pouvons-nous reprocher à notre meilleurE amiE, confrontéE à un sujet qu’ille ne connait pas de faire un deuil et de nous accepter sans restriction aucune et dans l’instant ! ou de nous quitter ?
Et votre conjoint dans le couple, c’est démultiplié !
Bien évidemment et j’entends bien qu’un couple fonctionne que si il y a dialogue, échanges, transparence, soutien, … mais c’est vrai quels que soient les problèmes que doit surmonter le couple (éducation des enfants, maladie grave du conjoint, difficultés financières, perte d’emploi, alcoolisme, …).
J’entends bien que si votre conjoint n’accepte pas votre travestisme ou plus généralement votre identité de genre, c’est qu’il ne vous aime pas suffisamment … et que si nous vivons caché et en secret, remplis de mensonges, seules la frustration, la culpabilité et le remord d’avoir raté notre parcours de vie nous laisserons un goût amer le jour de notre passage.
Mais mettez vous à sa place cinq minutes. Dans le monde binaire qu’elle a toujours connu, dans le monde patriarcale qui lui a appris à tenir sa place de femme. Elle a épousé un homme et l’image de l’homme en prends un coup, un sacré. Et je dois surtout vous parler de la sexualité du couple ! des craintes légitimes de comment cette sexualité est impactée.
Car si il n’y a pas de couple sans dialogue, il n’y a pas de couple sans sexualité. J’en suis convaincue. J’ai lu qu’elle pourrait être jalouse de votre féminité exacerbée. Foutaise ! Il lui faut surtout accepter l’évolution de votre image d’homme et souvent elle est aussi atteinte dans sa représentation de la féminité. Il lui faut du temps pour accepter de remettre en question la binarité de notre société ; et lorsqu’elle y arrive, elle devient la plus fervente supportrice de votre épanouissement, comme une amie, qui vous aide à choisir vos collants ou votre prochaine tenue.
Non, vous savez bien la première question que vous pose votre conjoint : “veux-tu changer de sexe ?”. La seconde question est : “veux-tu prendre des hormones ?”.
Car le problème apporté par la transidentité dans un couple, ce n’est pas votre identité de genre, c’est la compatibilité de l’orientation sexuelle des deux partenaires dans le couple pendant et après la transition. Et je ne compte plus les témoignages que j’ai croisé en ce sens avec le résultat prévisible dans la très grande majorité des cas lors que la sexualité n’est pas, pas assez ou peu compatible.
Le Coming Out auprès de votre conjoint, avec un oui à l’une de ses deux questions, c’est l’assurance quasi assurée d’avoir à gérer un divorce à plus ou moins long-terme. Et ce n’est pas que votre conjoint ne vous aime pas ou pas suffisamment. Des témoignages que j’entends il reste le plus souvent une grande et profonde amitié et affection entre les ex-conjoints mais avec le constat terrible que l’amour c’est aussi et d’abord la sexualité.
Vous aurez noté que j’ai bien insisté sur l’existence d’une transition comme problématique du Coming Out auprès des proches et des conjoints. Se travestir pour des raisons qui sont (et cela peut évoluer plus tard dans le parcours de vie de la personne) en dehors du strict spectre de l’identité de genre ne posent généralement que peu de problème dans le couple dont l’amour est suffisant pour une acceptation qui peut aller jusqu’à une belle complicité. Car sans transition de votre part votre conjoint n’aura ni colère ni deuil à faire, seulement à faire preuve de tolérance, de compréhension et d’ouverture d’esprit pour votre votre pratique du travestisme. Et vis à vis du regard extérieur elle pourra toujours parler de votre excentricité.
Mais une transition, c’est plus que cela. C’est souvent impossible. C’est faire le deuil de l’homme qu’elle a connu dans un modèle binaire rassurant.
Par transition, je ne présuppose aucune caractéristique particulière (hormones ou pas, épilation définitive ou pas, SRS ou pas, FFS ou pas, …). Par transition, j’entends le fait d’aménager sa vie et trouver sa zone de confort pour épanouir son identité de genre sous une forme ou sous une autre (voir à ce sujet les 8 formes d’identité de genre : MtF, FtM,bigenre, agenre, …) avec l’impact que cela peut avoir sur le fonctionnement du couple, son intégration dans la société mais aussi sur sa sexualité … par exemple une personne bigenre hétérosexuelle, attirée par sa femme lorsqu’elle exprime son côté masculin mais attirée par des hommes lorsqu’elle exprime sa féminité.
Car ce qu’il est important de bien comprendre, c’est qu’un travesti ou une personne transgenre, une fois engagé le processus de transition, est dans l’incapacité de faire des concessions directement liées aux caractéristiques qu’il aura choisi de réaliser pour atteindre sa zone de confort. Sauf une fois encore à renier sa transidentité avec tout ce que cela peut comporter comme risque, notamment de mal-être, de déprime voir de dépression et de suicide.
C’est aussi pour cette raison que je ne vois aucun intérêt de mettre au courant ses parents ou l’ensemble de sa famille en dehors de toute transition avérée. Dis autrement, pour un travesti qui se suffit à son travestisme une fois de temps en temps et s’épanouit comme cela, un coming out à son seul conjoint est très largement suffisant et déjà bien assez risqué pour obtenir la liberté nécessaire à sa pratique.
Pour la même raison, il n’y a aucun intérêt à faire son coming out dans son milieu professionnel tant qu’une transition n’est pas à l’ordre du jour voir dans un stade suffisamment avancé. Car sauf à vouloir inciter son directeur des ressources humaines à se travestir, cela ne peut que vous mettre dans des situations délicates pour la pérennité de votre emploi ; j’ai la aussi quelques exemples récents qu’un coming out par trop anticipé rend précaire sa situation professionnelle sans qu’il soit facile de démontrer la cause à effet devant les prud’hommes.
D’ailleurs en la matière rien ne presse et des réussites récentes de Coming Out professionnels confirment qu’il est préférable d’avancer tranquillement, votre entourage familial et professionnel s’habituant à votre évolution progressive. Ce qui peut nécessiter de la patience et une certaine forme d’androgynie vestimentaire pour accompagner le changement en douceur. Et le jour où vous l’annoncez, la plupart vous répondent qu’ils s’en doutaient depuis quelques temps …
En résumé, Si le coming out ne vous terrifie pas, c’est que vous êtes entrain de faire n’importe quoi ! car c’est un vrai saut vers l’inconnu. Je cite une copine : “Mon dieu ! Je vais tout perdre ! Mon couple, mon travail, mes amis. C’est foutu. Et merde !!”. C’est une vraie loterie car vous ne pouvez présager des réactions de votre entourage qu’il soit familial ou professionnel, certaines personnes n’arriveront jamais à se faire à l’idée, à cause du deuil. Et après la transition qui vous laisse dans un état de stress et de fatigue, il vous faut le plus souvent trouver encore de l’énergie pour reconstruire une vie sociale.
J’espère vous avoir convaincu qu’un Coming Out doit se préparer, se décider, se planifier et non se subir, qu’il vous faut absolument en maitriser toutes les composantes – à qui le dire, quand le dire, pourquoi le dire, comment le dire, … – et effets de bords, prendre conscience des risques et de ce qu’il vous faudra renoncer et de ce qu’il vous faudra reconstruire.
Et que les conseilleurs ne sont pas les payeurs …
Prenez soin de vous !
Soyez le premier à commenter